Ceux d'en haut : une saison chez les décideurs Hervé Hamon

Résumé

C'était une erreur. Pire : une erreur calculée. D'une façon générale, prendre un taxi, à Paris, est une erreur. C'est le seul commerce où vous vous faites engueuler sitôt entré. Parce que vous n'allez pas où le chauffeur veut aller. Parce que vous perturbez sa conversation téléphonique. Parce que vous ne partagez point ses goûts musicaux. Parce que vous préféreriez payer par carte de crédit. Il est exaspéré, le chauffeur. Et il vous le fait savoir, abondamment. Il se venge, il ne doute pas qu'il est dans son droit, donc il se venge. Et pourtant, j'ai réservé un taxi. Car La Défense, c'est plein de pièges, de niveaux juxtaposés, d'échangeurs, de bifurcations où la moindre erreur vous entraîne à perpète. Même le piéton, le modeste et moutonnier piéton, cherche vainement un panneau indicateur - ce pourquoi j'avais renoncé au métro. La Défense, croyez-moi, je parle d'expérience, est un univers où il ne convient pas de chercher une adresse, où les numéros sont indécelables, comme à Tokyo, sauf qu'à Tokyo le petit peuple des ruelles, des bistrots à onze places, vous prend en charge et vous escorte. La Défense est un univers où chacun, chaque membre de cette foule que charrient à heures fixes les escaliers mécaniques, ne connaît qu'une destination : sa boîte, sa tour, son conglomérat, son ascenseur. Mais c'est là que ça se passe. Enfin, pas seulement là. Ça peut également se passer dans le huitième arrondissement, autour de l'Étoile, dans des hôtels particuliers de pierre orgueilleuse et massive. Généralement, les habitants de ces maisons spéciales sont les dieux de l'Olympe, les membres du comité exécutif, autrement dit le Comex, ou, plus intermittents, ceux du conseil d'administration, autrement dit le board - les directeurs de pôle, de secteur, de branche, avec leurs subordonnés et ainsi de suite, sont, eux, refoulés à la périphérie dont ils connaissent la tour, le conglomérat, l'ascenseur, et rien d'autre que leur boîte. Ça peut aussi se passer boulevard Haussmann où s'alignent banques, assurances, et encore banques et assurances - au-delà des Galeries Lafayette et des touristes chinois. Le splendide, l'envié, le merveilleux boulevard Haussmann élu de Proust, au numéro 102, pour écrire la Recherche, comme disent les initiés, bien qu'il déplorât que le pollen des marronniers eût sur son asthme une influence catastrophique. L'ample boulevard Haussmann dont les trottoirs permettent à volonté de garer sa moto. Le central boulevard Haussmann qu'aucun chauffeur de taxi, même ignare et obligé d'un gang asiatique, ne saurait manquer. Mais je ne vais pas boulevard Haussmann. Je vais à La Défense, piloté par un professionnel, un homme qui sait, et, comme prévu, il pleut une pluie froide qui noie les arbres noirs. Et les rues se transforment en rivières qui se rassemblent en fleuves puissants et lents. Je consulte ma montre, demande une fois de plus au chauffeur s'il connaît bien La Défense, si l'on atteindra sans faute la Tour des miroirs. Il ricane. Un peu qu'il la connaît, et même pas qu'un peu, pour qui je le prends ?

Auteur  :
Hamon, Hervé (1946-....)
Éditeur :
Éd. du Seuil,
Genre :
Récit
Langue :
français.
Mots-clés :
Nom commun :
Pouvoir (sciences sociales) -- France -- 1970-.... -- Récits personnels | Dirigeants politiques -- France -- 1970-.... -- Entretiens | Chefs d'entreprise -- France -- 1970-.... -- Entretiens
Description du livre original :
1 vol. (269 p.) ; 22 cm
ISBN :
9782021071375.
Domaine public :
Non
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Table des matières

  • 1 La Tour des miroirs
  • 2 Je ne supporterais pas d’avoir un patron
  • 3 Fils de son père et fils de soi-même
  • 4 Service public
  • 5 Entrelacements
  • 6 Renault Vilvoorde
  • 7 Deux charmants banquiers
  • 8 Le plafond de verre
  • 9 Matignon dans tous ses états
  • 10 Du malheur et du bonheur
  • 11 Le voyage inaccompli
  • Postface
    Le dernier patron
    (sur un retour au bercail)
  • Remerciements

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