Coup de cœur

Mademoiselle Couturier a soixante-dix ans, bon pied, bon œil. Il y a vingt ans, Garcia l'a chassé de sa ferme, la Roselière : « Ces cinq hectares sont à moi. J'en ai besoin. Vous viendrez vivre à la Grande Ferme. Il n'y a pas d'autre solution. » Au début, comme une bête blessée, elle s'est terrée dans les deux pièces qu'il lui avait allouées. Et puis un jour, l'heure de la vengeance a sonné : devant les ouvriers, elle a démontré que Garcia n'y connaissait rien à la terre. Depuis, elle a peu à peu grignoté son autorité : "Après cette histoire, il a préféré me prendre comme conseillère. Maintenant il n'ouvre plus la bouche. Plus personne ne lui demande rien". Mais il faut que la haine reste intacte. Aussi, chaque jour, elle se remémore tout ce que Garcia lui a volé : Sa terre, ses souvenirs. "Garcia a toujours été un faible... il a peur de moi... C'est en rentrant de la promenade, quand je me sens plus forte, que je me venge lentement. Garcia, je finirai bien par t'avoir. Tu m'as pris ma paix, moi je te prendrai ta terre et ta vie..." À petits pas, cuvant sa haine et méditant sa vengeance, elle arpente la propriété, laissant remonter en elle du fond du passé tout ce qui fut sa vie, sa joie, sa raison d’être. Mais plus que la vengeance, c'est une histoire d'amour que nous conte Marie Cardinal, l'amour de cette femme pour sa terre, celle où elle est née, celle où elle a vécu son unique amour dans une merveilleuse paix de l’âme et des sens avant qu’il ne disparaisse, enfin unissant ces deux passions, la cathédrale de roseaux et de coquillages, chef d’œuvre fou qu’elle a élevé de ses mains au long de ses solitaires soirées, durant des années, à la façon des palais surréels du facteur cheval. La mule de corbillard publié en 1963 (aujourd'hui épuisé), considéré comme un chef-d’œuvre par de nombreux spécialiste de la littérature, est cependant passé inaperçu, car Marie Cardinal ne sera réellement connue du grand public qu'à la publication "Des mots pour le dire".