Résumé

Il était une fois un philosophe nommé Carlo Michelstaedter, qui se suicida en 1910, à vingt-deux ans, au lendemain de l'achèvement de sa thèse, La persuasion et la rhétorique. La persuasion, c'est la plénitude de l'être en accord avec la vie et l'instant, la rhétorique, c'est tout ce qui nous fait désirer d'être ailleurs, plus tard, plus fort, tandis qu'irrévocablement s'écoule et s'enfuit notre vie véritable. Il était une fois un de ses amis et disciples d'enfance, Enrico Mreule - le protagoniste de ce livre -, qui, voulant rester fidèle à sa pensée, refusa la guerre et tout engagement professionnel, politique et familial en s'abandonnant peu à peu à une nostalgie quasi foetale de la mansarde-thébaïde où se retrouvaient trois adolescents, puis à la grande persuasion rédemptrice de la mer, mais sans s'apercevoir que cette recherche forcenée de la persuasion n'était qu'un retour pervers et sournois de la rhétorique, et que le rejet des contraintes et des réalités n'est qu'une occultation de la vie. Dans ce roman où tout l'obscur d'une âme perce sous la limpidité de la narration, Claudio Magris nous offre une impitoyable radiographie de l'intellectuel déserteur, acteur et témoin du malaise dans la civilisation ; mais aussi un poème métaphysique envoûtant sur l'errance d'un homme nourri de philosophie antique et en quête d'harmonie et d'intégrité ; mais encore une surprenante traversée du siècle, de la Patagonie à l'Istrie, de la Grande Guerre à l'ère du confort en passant par l'écroulement de l'empire austro-hongrois, le fascisme, une autre guerre et maints déchirements territoriaux, sociaux et culturels ; et peut-être surtout une poignante méditation sur l'amitié absolue. Claudio Magris renouvelle ici radicalement sa facture, mais conserve cette conscience de l'Histoire, cette richesse de l'observation et cette générosité envers les êtres qui sont la marque de son humanisme. Une autre mer est une oeuvre à la fois percutante et inépuisable.