La nature du peuple : les formes de l'imaginaire social, XVIIIe-XXIe siècles Déborah Cohen

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Résumé

C'est du fourmillement des archives judiciaires qu'est né ce livre; grâce à l'analyse minutieuse de cette matière concrète, formidablement vivante, l'auteur nous permet de comprendre comment les catégories populaires du mile siècle français se sont pensées comme groupe et comment les individus populaires ont construit une image d'eux-mêmes, jusque dans leur rapport le plus intime à leur trajectoire, à leur quotidien et à leur corps. Leur parole dit le sentiment d'indignité, tel Damiens, régicide inaccompli, à qui son juge demandait s'il n'avait pas souhaité parler au roi, et qui répondait " que non, que ce n'est pas un homme de son espèce qui ira parler au Roi ". Parfois aussi, du fond du mépris dans lequel on les tient, des hommes du peuple disent haut et fort leur envie de liberté, leur défense des règles traditionnelles contre la volonté de contrôle des institutions. Mais la manière dont les classes populaires se pensent et se vivent dépend de la manière dont elles sont pensées et parlées par les élites, qui ont le pouvoir de définir les places et les parts. La Nature du peuple est donc également une histoire intellectuelle des types de discours et de porteurs du discours sur les catégories sociales. A un discours naturalisant, qui fait des catégories sociales des essences immuables déterminant les comportements individuels, se substitue peu à peu, dans la seconde partie du siècle, un nouveau discours sur la société en général et sur le peuple en particulier qui fait place à un goût du fait et de l'observation. L'analyse participe ainsi de l'écriture d'une protohistoire des sciences sociales, certes non constituées en discipline, mais dont les méthodes s'amorcent timidement et qui sont ici étudiées dans les discours académiques, dans la littérature moralisante et dans les textes de l'économie politique naissante. Ce livre nous convie donc à un voyage à la fois concret et conceptuel, du plus haut au plus bas de la société du siècle, entre écriture et oralité, soumission à l'ordre dominant et rébellions. Il le fait avec la conviction que quelque chose de cet Ancien Régime est en train de revenir: la figure d'un peuple opprimé mais glorieux, celle que portait le marxisme triomphant, est aujourd'hui dissoute en myriades d'individus que ne regroupe aucune conscience de classe et qu'on ne sait comment agréger, comment nommer. Le résultat est une forme d'invisibilisation des réalités plébéiennes. En cela, et par-delà le XIXe et le XXe siècle, notre époque et le XVIIIe siècle sont proches.

Auteur :

Cohen, Déborah (1973-....)

Éditeur :

Champ Vallon, impr. 2010

Collection :

La chose publique

Genre :

Essai

Langue :

français.

Note :

Bibliogr., 24 p.

Mots-clés :

Nom commun :: Représentations sociales -- France -- 18e siècle | Identité collective -- France -- 18e siècle | Classes supérieures -- France -- Attitudes -- 18e siècle | Classe ouvrière -- Opinion publique | Opinion publique -- France -- 18e siècle

Description du livre original :

1 vol. (441 p.) : couv. ill. ; 22 cm

ISBN :

9782876735262.

Domaine public :

Non

Table des matières

Introduction
Chapitre 1 : Désirs d’ordre(s) : discours de pouvoir, discours essentialistes
- I. Savoir, pour ne pas voir
  - L’abstraction aveugle
    - Le peuple, point aveugle du discours
    - Ne pas en croire son propre regard
  - Une ontologie essentialiste
    - La naturalisation du social
    - L’impuissance de l’agir
    - Les vies comme destins
    - Hommes et femmes du peuple : l’impossible figure singulière.
- II. De l’autre côté du miroir, un monde sans commune mesure
  - A corps et à cris : loin du monde de la raison
    - L’impossible parole
    - Le corps affreux et insensible du peuple
  - Les émotions impensables du peuple
    - La subjectivité comme privilège de classe
    - L’émotion populaire comme excès : colère et violences
Chapitre 2 : Métaphysique et esthétique du fait (1750-1789) un nouveau regard sur le peuple ?
- I. l’invention d’un discours nouveau sur la société
  - Une évolution exemplaire : le discours académique
    - Le discours académique : un objet où s’inscrit le compromis social entre les élites
    - Rhétoriques académiques : de la logique théologique à l’observation du monde social
    - Inquiétudes fin de siècle face à des classements sociaux imparfaits - ou comment les cas individuels viennent perturber les belles certitudes
  - La mode d’une nouvelle littérature par exempla et dialogues : goût du fait et brouillage des identités sociales
  - L’attention au fait, un nouveau modèle de compréhension du monde
    - La philosophie sensualiste : les racines profondes d’un nouveau discours sur le peuple
    - Du fait aux lois de la nature : l’évolution des physiocrates et des sciences de la nature
    - Regarder, être touché : la vogue du sentimentalisme
- II. Une entreprise vériste de description d’un peuple d’individus ?
  - Ambiguïtés d’une pensée individualisante
    - Les pauvres plutôt que la pauvreté
    - Les exempla : glorifier le héros sur fond de mépris
  - Bonheur des pauvres, ou mélancolie des élites ?
    - Bonheur de l’aliénation
    - Des grands avantages que la pauvreté procure aux hommes
- III. Les identités comme pratiques sociales
  - L’ordre des corps devenu incertain et les stratégies de condescendance
  - Hiérarchies et vertus
    - L’ordre des gestes : vertu et habitude
    - Une démocratie possible ?
    - Le geste sans cerveau
Chapitre 3 : Peuple producteur, peuple consommateur: des discours entre théorie et empirie
- I. La valorisation du peuple producteur: histoire d’un moment bref
  - La masse comme productive
    - Vauban, les débuts d’une pensée processuelle
    - Les libéraux égalitaires
  - Valorisation de la production, oubli des travailleurs
    - La position de la galaxie encyclopédique
    - Valeur du grand nombre, ignorance de l’individu producteur
    - Le renversement physiocratique : le peuple, consommateur stérile
- II. Que vaut l’opinion du peuple consommateur ?
  - Évidence et éducation
    - Les lois abstraites de l’ordre naturel
    - Reconnaissance et déni de l’opinion
  - Empirisme et sensualisme
    - Défendre les faits : contre une renaturalisation du social
    - L’émeute sensible
- III. Enjeux sociaux et politiques du débat sur le commerce des grains
  - Experts ou citoyens ?
    - Despotisme éclairé, paternalisme ou liberté ?
    - Il n’y a pas de science économique
  - Qui a intérêt à l’existence d’une science politique ?
    - Dialogues ou démonstrations ?
    - « D’où parles-tu, camarade ? » Honnêteté et compétence : figures croisées de l’écrivain et de l’administrateur
Intermède : Une renaturalisation contemporaine du social ?
- I. Identifier par le faire ou par l’essence ?
  - Une pensée des parcours sociaux probables
    - La nouvelle boule de cristal des juges, médecins et policiers
    - Métier choisi ou métier destiné ?
  - Fin du peuple, fin du politique ?
    - Fin d’un opérateur de subjectivation politique.
    - La banlieue ou le zoo
- II. Véritable empirisme et faux-semblants
  - Le « réel » par stéréotypes et exceptions
    - Stéréotypes, ou le retour de John Doe
    - Singularisation des parcours de réussite
  - Combats actuels d'une communauté empiriste
    - Homogénéité culturaliste versus vision métisse de l’empiriste
    - En haine de la sociologie dispositionnelle
- III. Penser et écrire son parcours : destin ou possibles ?
  - Comment imaginer l'avenir ?
    - Le refus du destin des pères.
    - « J’avais vingt ans et pas d’espoir »
  - L’échappée
    - Rêver
    - Choisir
Chapitre 4 : Haine de soi et résistances au stigmate
- Les corps, entre déni et défi
  - Se voir avec les yeux de l’autre
    - La haine de soi
    - Refuser l’indigence des possibles : rêves d’un moment, folies et brigandage
    - La métamorphose, révolution ou aliénation ?
  - Corps propre et commune humanité : le défi de l'égalité
    - Corps du peuple, corps du roi et des grands : une commensurabilité nouvelle
    - Pensée du corps propre : saisir les opportunités du nouveau discours des élites
- II. Désir et difficulté de la parole populaire
  - La parole inaudible
    - L’interdit jeté sur un discours populaire sérieux
    - Des jugements nominalistes
    - L’émeute diserte
  - Penser par corps
    - La violence comme issue à l’impuissance du discours ?
    - La politique, entre l’image et le geste
Chapitre 5 : Autonomies populaires : discours du fait, discours du droit
- I. À distance des normes des élites : une approche pragmatique de la réalité sociale
  - Des jugements non essentialistes
    - Une sociabilité libre et immédiate
    - Une évaluation pragmatique et probabiliste
  - Ordre des choses ou stigmatisation morale
    - Voleurs et volés face au fait
    - La négociation et le recours en justice comme moyen de pression
- II. Se réapproprier le discours
  - La réappropriation du discours du droit
    - Contester le pouvoir des autorités
    - Maîtriser la procédure
  - Des discours de droits alternatifs
    - Contre le privilège
    - Le droit naturel
    - Petite sociologie de la revendication jusnaturaliste
Conclusion
- Discours savants et discours populaires : l’entrée en résonance
- Diversité des contextes
Bibliographie
- Sources manuscrites
  - Archives nationales (A.N.)
    - Dossiers des commissaires
    - Chambre de Police
    - Petit Criminel
    - Grand Criminel
  - Bibliothèque nationale (B.N.F.)
    - Collection Joly de Fleury
    - Manuscrits français
  - Bibliothèque de l’Arsenal
    - Guerre des Farines
    - Archives de la Bastille (A.B.)
  - Archives de la Préfecture de Police
- Sources imprimées
  - Travaux historiques
  - Autres travaux

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